Communiqué de la Fondation Frantz Fanon
200E ANNIVERSAIRE DE LA DETTE ILLEGITIME IMPOSEE A HAÏTI PAR LA FRANCE
En réponse à la déclaration (https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2025/04/17/declaration-du-president-de-la-republique-sur-la-relation-entre-la-france-et-haiti) du Président français sur le 200e anniversaire de la dette illégitime imposée à Haïti par la France
English version below
Le président de la République s’arrange, une fois encore, avec l’histoire en faisant référence à l’esprit de 1789 et à ses principes qu’il qualifie ‘d’universels’, il nie les faits ; entre autres la vérité historique qui veut que aucun des Africains arrachés à leur continent et mis en esclavage dans les colonies françaises n’a été libéré de cet asservissement inhumain en 1789. Une porte s’est entr’ouverte en 1794, vite refermée. Il leur faudra attendre 1848, et pour certains même un peu plus. Dans un esprit de pure colonialité du pouvoir, il essaie de faire entrer l’émergence de la première République Noire dans la devise française. Il passe bien sûr sous silence que cette première République Noire n’a pu advenir que parce que les mis en esclavages se sont d’abord libérés de l’indignité dans laquelle les maintenaient les colons français avec le soutien total de la royauté puis de la République dont il se gargarise. Il ne veut pas comprendre ce que cette Première République Noire a donné à de nombreux mis en esclavage la force de résister et surtout la force de l’espoir.
Dès lors, le ton déclaratif, le lexique employés ne sont qu’un tour de passe-passe auquel il nous a déjà habitués que ce soit en Algérie, au Sénégal ou ailleurs.
Ce Président devrait aussi réfléchir aux conséquences incommensurables des effets que l’histoire de la doctrine de la christianisation forcée, de la doctrine des découvertes à laquelle il faut ajouter celle des plantations produit sur les damnés racisés et sur la pérennisation d’un système capitaliste qui s’est inscrit dans l’utilisation d’un concept scientifiquement faux, celui de la race, pour mieux hiérarchiser l’humanité afin de la diviser entre Êtres et Non Êtres.
Cette France si chère à ce Président avait d’ailleurs imposé ce découpage racial en Haïti en faisant des créoles, issus du viol systématique des femmes, les gardiens des Bossales. Ces viols permettant à celles qui les avaient subis et à leurs descendants, d’être porteurs de signes pouvant les faire reconnaître pour ‘blancs’.
Ce Président fait preuve d’une indécence intellectuelle qui heurte les combats menés par les Haïtiens résistant à la main-mise de leur pays par des présidents nommés par leurs anciens colonisateurs ou par les nombreuses forces de maintien de la paix ou de sécurité envoyées par les Nations Unies, ou encore par la création unilatérale du Core group qui vient relayer, en écho, les décisions dont aurait soi-disant besoin Haïti, qui rappelons-le est un pays souverain et à ce titre, bénéficie du droit à son autodétermination, sans aucune ingérence. Ou résistant contre des gangs armés aussi bien par des puissances étrangères que par l’argent de la drogue.
Depuis l’occupation française puis américaine ce pays indépendant ne cesse de susciter un désir de sa recolonisation. Les Etats Unis lorgnent sur Haïti. Ces pays sont le problème de Haïti ; la France en ne remboursant pas cette dette illégale et odieuse et les Etats Unis en ne rendant pas l’or qu’ils ont volé dans les banques haïtiennes en 1914. Dès lors Haïti était voué au mal développement.
L’affront fait au peuple haïtien, l’affront fait à la Première République noire à qui nous devons notre fierté d’hommes et de femmes noirs ne peut se résoudre « par le dialogue ou par une compréhension mutuelle ». La France et les Etats Unis, à la fois en ne remboursant pas la dette et en ne rendant pas l’or mais aussi en jouant un rôle mortifère au sein du Core group, agissent comme les colons d’hier venus voler les terres et piller les ressources naturelles de ce pays.
Agissant ainsi ils pensent effacer leurs crimes mais le peuple haïtien n’oublie pas et n’effacera jamais ces périodes qui ont constitué le système dans lequel ils vivent aujourd’hui, tout comme les Afro-descendants, où qu’ils soient, n’oublieront pas ces crimes de génocide et contre l’humanité. Nous savons, nous racisés, que du futur d’Haïti, dépend notre futur.
- La France doit restituer l’argent de la dette illégale
- La France doit quitter le Core Group et en exiger la dissolution ; par son ingérence, il est le symbole de la White supremacy et de la Modernité eurocentrée qui viole la souveraineté d’un Etat indépendant
- La France doit exiger le départ de la force militaire dirigée par le Kenya qui n’est que la manifestation de l’ingérence violant le principe fondamental du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
- La France doit réparer les nombreux crimes dont Haïti et son peuple ont été victimes pour avoir contrecarré les plans esclavagistes et coloniaux en instaurant la première République noire
- La France doit assumer sa responsabilité au regard du droit international dans le processus de déshumanisation de millions d’Africains qu’elle a asservis en les privant de leur humanité et de leur dignité
- Le temps des réparations est venu en tant que processus politique décolonial, combatif et collectif
« Nous nous sauverons tous ou nous serons tous anéantis. Cette terrible alternative qui pèse sur l’humanité n’aura jamais été aussi vraie jusqu’ici. On torture la liberté d’un peuple (en Algérie). Comment s’imaginer qu’on puisse rester à l’écart ? Sauver tout le monde avec soi, c’est cela en définitive l’impératif moral. » Frantz Fanon, Conférence mondiale de la jeunesse, Accra, août 1960
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English version
200TH ANNIVERSARY OF THE ILLEGITIMATE DEBT IMPOSED ON HAITI BY FRANCE
In response to the French President’s statement (https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2025/04/17/declaration-du-president-de-la-republique-sur-la-relation-entre-la-france-et-haiti) on the 200th anniversary of the illegitimate debt imposed on Haiti by France
By referring to the spirit of 1789 and its principles, which he describes as “universal”, the President of the Republic is once again making a mockery of history, denying the facts, including the historical truth that none of the Africans uprooted from their continent and enslaved in the French colonies were freed from this inhuman enslavement in 1789. A door was opened in 1794, but quickly closed again. They had to wait until 1848, and for some even longer. In a spirit of pure colonial power, he tries to incorporate the emergence of the first Black Republic into the French motto. Of course, he overlooks the fact that this first Black Republic could only have come about because the enslaved first freed themselves from the indignity in which they were held by the French colonizers, with the full support of royalty and then of the Republic of which he boasts. He doesn’t want to understand that this First Black Republic gave many enslaved people the strength to resist and, above all, the strength of hope.
From then on, the declarative tone and lexicon employed are nothing more than a sleight of hand to which he has already accustomed us, whether in Algeria, Senegal or elsewhere.
This President should also reflect on the immeasurable consequences of the effects that the history of the doctrine of forced Christianization, that of the discoveries, to which we must add that of the plantations, is still having on the damned racized, and on the perpetuation of a capitalist system that has made use of a scientifically false concept, that of race, to better hierarchize humanity in order to divide it into Beings and Non-Beings.
This France, so dear to this President, had imposed this racial separation in Haiti, making Creoles, the product of the systematic rape of women, the guardians of the Bossales. These rapes enabled the women who had undergone them and their descendants to carry signs that would identify them as “white”.
His intellectual indecency clashes with the struggles waged by Haitians in resistance to the takeover of their country by presidents appointed by their former colonizers, or by the gangs, by the numerous peacekeeping or security forces sent by the United Nations, or by the unilateral creation of the Core Group, which echoes decisions allegedly necessary for Haiti, a sovereign country and as such enjoying the right to self-determination without any interference from the international community. Or resisting against gangs armed both by foreign powers and by drug money
Since the French and then the American occupation, this independent country has never ceased to arouse the desire for recolonization. The United States has its eye on Haiti. These countries are Haiti’s problem: France, by not refunding its illegal and odious debt, and the United States, by not returning the gold it stole from Haitian banks in 1914. From then on, Haiti was condemned to maldevelopment.
The affront to the Haitian people, the affront to the First Black Republic to which we owe our pride as black men and women, cannot be resolved “through dialogue or mutual understanding”. France and the United States, not only failing to reimburse the debt and to return the gold, but also playing a mortifying role within the Core Group, are acting like the colonizers of yesterday who came to steal the land and plunder the natural resources of this country.
In so doing, they are erasing their crimes, but the Haitian people have not forgotten and will never erase the periods that made up the system in which they live today, just as Afro-descendants, wherever they may be, will not forget these crimes of genocide and against humanity. We racialized people know that from Haiti’s future depends on our future.
- France must refund the money from the illegal debt
- France must leave the Core Group and demand its dissolution; through its unlawful interference, it is the symbol of White supremacy and Eurocentric Modernity, violating the sovereignty of an independent state.
- France must demand the departure of the Kenyan-led military force, which is nothing more than a manifestation of interference that violates the fundamental principle of the right of peoples to self-determination.
- France must make reparation for the many crimes committed against Haiti and its people for having thwarted the slave trade and colonial plans by establishing the first black republic.
- France must assume its responsibility under international law for the dehumanization of millions of Africans it enslaved, depriving them of their humanity and dignity.
- The time has come for reparations as a decolonial, combative and collective political process.
“We will all save ourselves or we will all be destroyed. This terrible alternative hanging over humanity has never been so true. A people’s freedom is being tortured (in Algeria). How can you imagine staying away? To save everyone with oneself is, in the final analysis, the moral imperative ». Frantz Fanon, World Youth Conference, Accra, August 1960